L’innovation est un éternel recommencement. Les meilleurs concepts comme la télévision, la voiture individuelle ou l’aviation civile entrent dans notre quotidien et deviennent des évidences. Ceux qui ne trouvent jamais leur marché comme la télévision en 3D et les voitures volantes tombent dans l’oubli avant d’être, à la faveur du renouvellement des générations, redécouverts et remis sur le devant de la scène.
Les dépoussiérages de vieilles idées sont utiles : il arrive parfois qu’une innovation n’ait pu trouver preneur à une certaine époque pour des questions technologiques, sociales, voire législatives.
Ces paramètres changent selon le lieu et au cours du temps ; des échecs commerciaux ressuscités peuvent devenir des marchés à plusieurs milliards de dollars.
La première smartwatch Casio CD-40 des années 1980 n’avait aucune chance de séduire le grand public. Outre ses fonctions d’un intérêt tout relatif au quotidien, son design décomplexé en faisait un objet dédié uniquement à la clientèle technophile de l’époque.
Trois décennies plus tard, les Apple Watch se vendent comme des petits pains. Les smartwatches dans leur ensemble trouvent leur public, qu’il s’agisse de modèles de marque à plusieurs centaines d’euros ou de produits génériques vendus à vil prix.
Casio CD-40 vs Apple Watch : trente ans après, les montres multi-fonctions sont enfin désirables pour le grand public
Un concept renait actuellement de ses cendres : l’aviation civile supersonique.
Nous nous intéressons dans cette Quotidienne à ces nouveaux avions supersoniques du XXIème siècle. Parviendront-ils, comme les montres connectées, à se démocratiser avec plus de succès que leurs ancêtres ? La relève du fameux Concorde est-elle sur le point d’arriver ?
Quand l’aviation ne va plus toujours plus vite
Se déplacer toujours plus vite fait partie des courses sans fin de l’humanité. Après l’arrivée de la machine à vapeur, puis de l’automobile, l’aviation a pris le relai pour raccourcir toujours plus les distances sur Terre. Les premiers avions à réaction, nés dans la première moitié du XXème siècle, laissaient présager des vitesses de déplacement toujours plus élevées.
Les ingénieurs ont pourtant bien vite remarqué que les avions avaient tendance à accumuler les problèmes lorsque leur vitesse approchait celle du son. Les avions qui volent plus lentement que le son sont soumis à des contraintes mécaniques relativement constantes. Lorsqu’ils s’approchent (et atteignent) cette vitesse, ces contraintes augmentent brutalement.
Dépasser le fameux mur du son n’avait donc rien d’une évidence. Le premier franchissement par le Bell X-1 en 1947 avait fait naître des espoirs d’autant plus grands que l’aviation de l’après-guerre fourmillait d’idée et de concepts nouveaux.
Les années 1950 nous ont donné le Boeing 707, qui a démocratisé le voyage en avion en masse ; la fin des années 1960 le Concorde et ses voyages supersoniques. Les problèmes techniques ayant été résolus, les voyages supersoniques auraient dû devenir la norme.
Un Boeing 707 et le Concorde lors de son premier vol.
Pourtant, le vénérable 707 ressemble à s’y méprendre aux derniers Dreamliner de Boeing. Le Concorde n’existe plus : force est de constater que, dimensions mises à part, le demi-siècle d’évolution qui a suivi cette période n’a pas bouleversé l’aviation civile.
Un passager des années 1950 ne serait pas du tout perturbé dans un aéroport d’aujourd’hui. C’est donc avec un certain plaisir que nous voyons la NASA offrir 200 M$ à Lockheed Martin pour développer un nouvel avion civil supersonique.
XPlane, ou le nouveau Concorde
Le cahier des charges de ce nouvel X-Plane (nom générique pour les avions expérimentaux) insiste sur les éléments qui ont le plus fait défaut au Concorde. L’avion devra maîtriser sa consommation pour ne pas être un gouffre énergétique, aura bien évidemment une vitesse de croisière supérieure à Mach-1 et limitera les nuisances sonores.
La question du bruit est primordiale. Le Concorde a n’a eu l’autorisation, lors de sa période d’exploitation, de dépasser Mach-1 qu’au-dessus de l’océan Atlantique à cause du “Boum” qui accompagne les déplacements supersoniques.
Le nouvel avion sera dessiné pour limiter au maximum ce phénomène. La forme particulière du fuselage devrait permettre d’émettre une onde de choc “pas plus intense que le bruit d’une portière qui claque”, selon Lockheed Martin.
Le nouvel X-Plane
Crédit Nasa/Lockheed Martin
La maîtrise des nuisances sonores devrait permettre d’assouplir les règlementations mises en place à l’époque du Concorde. Le nouvel X-Plane pourrait ainsi rendre de nouveau acceptable les déplacements supersoniques et signer le retour du Paris-New York en trois heures et demie.
Le succès n’est pas qu’une affaire de technique
Sur le papier, le futur avion supersonique n’a aucune raison de ne pas voir le jour. Après tout, la clientèle d’affaires est toujours présente, toujours aussi pressée, et encore plus solvable que dans les années 1970. La technologie s’est améliorée et la législation suivra.
Il n’en reste pas moins que certains besoins des années 1970 n’existent plus de manière aussi aigüe. Le commerce international se fait plus volontiers à distance aujourd’hui qu’il y a cinquante ans. La qualité des télécommunications (audio, mais aussi vidéo) permet des interactions bien plus fluides entre les grandes mégalopoles d’affaires.
De nouveau usages, comme les emails et les SMS, permettent même de maintenir des échanges soutenus dans la durée. Les voyages, même s’ils n’ont jamais été aussi peu chers, sont paradoxalement de moins en moins nécessaires pour les échanges internationaux. Pour discuter en urgence d’un point bloquant dans une négociation, il est plus efficace d’ouvrir Skype sur son smartphone que de sauter dans un avion. Que le trajet fasse 3h30 en X-Plane ou 8h en A380 n’est même pas le sujet lorsqu’il est possible d’avoir une discussion immédiate et intelligible sans avoir à se déplacer ni bourse délier.
Bien sûr, rien ne remplace totalement le contact humain. Même sans notion d’urgence, les déplacements professionnels existent toujours. Les compagnies aériennes le savent et chouchoutent toujours autant leur clientèle d’affaires.
Si l’aménagement des avions long-courrier peut faire croire que les voyageurs de tourisme “payent” l’avion et que les voyageurs d’affaire en profitent, il n’en est rien. En pratique, les quelques sièges à l’avant de l’appareil rapportent autant (voire parfois plus) à la compagnie aérienne que les centaines de places vendues en cabine Economique. Les passagers qui payent rubis sur l’ongle sont donc particulièrement choyés.
Alors que les appareils ont extérieurement peu évolué depuis les années 1970, le confort des cabines premium n’a lui plus rien à voir. Un voyage en classe Business ou Première dans un appareil moderne comme l’Airbus A380 n’est plus aussi fatiguant qu’un transatlantique en Boeing 747 à l’époque du Concorde.
La clientèle capable de s’offrir un voyage supersonique n’est donc plus soumise au choix de se briser le dos durant 8h en Première classe ou 3h30 dans le Concorde. Elle peut opter pour un avion standard, passer une agréable nuit en haute altitude et arriver en forme le lendemain.
La première classe des années 1970 (à gauche) comparée aux prestations actuelles sur A380 (droite). Qui est encore pressé d’arriver ?
Défi technologique mis à part, il n’est par conséquent pas inintéressant de se demander à qui s’adresseraient ces nouveaux vols supersoniques, et quels problèmes pressants ils règleraient. Pour l’instant, ces points de détail ne font pas partie des communiqués de la NASA et de Lockheed Martin.