Les majors du pétrole croulent sous l’argent
Imaginez un peu. La société Exxon à elle seule a réalisé un chiffre d’affaires de 378 milliards de $ (293 milliards d’euros). Histoire de mettre les ordres de grandeur en phase : l’IRPP rapporte environ 60 milliards d’euros, l’IS 45 milliards et la TVA 130 milliards d’euros. Et le total des recettes de l’Etat se situe annuellement à environ 250 milliards d’euros.
A elles seules, les 3 premières compagnies pétrolières, je vous le disais la semaine dernière, ont fait 87 milliards de dollars de profits. Elles disposent donc d’une véritable rente de situation. Reste à savoir ce qu’elles vont faire de tout cet argent. Car le principal risque serait de s’endormir sur ses lauriers. Le danger n’est pas loin…
Voyez plutôt : elles sont bousculées et poussées dans leurs retranchements. Les pétrolières sont attaquées de tous côtés.
A quand la fin des énergies sales ?
Attaquées par les émissions de CO2 qui sont en train de détruire la planète. Un seul chiffre que je tiens d’Hubert Reeves : une hausse moyenne de la température terrestre de 7°C (on parle actuellement de 2,5 à 4,5) est synonyme de destruction des cellules, donc de la vie sur Terre. Ce n’est pas rien. On ne peut pas continuer à consommer aussi massivement de l’énergie fossile salissante.
Les Etats contre-attaquent
Les attaques viennent ensuite des Etats qui reprennent en main leurs ressources, à commencer par le Venezuela et la Russie. Regardez comment les Occidentaux ont été expulsés de Sakhaline II au profit de Gazprom. Et ça va continuer…. Un seul chiffre là encore : 80% des réserves de pétrole sont contrôlées par des sociétés d’Etat.
Le nationalisme énergétique ne fait que commencer.
Il prend d’ailleurs aussi une autre forme. Celle de la concurrence acharnée. Regardez ce qui se passe en Chine. L’Etat investit des milliards dans la recherche de nouveaux gisements. Aucune major, malgré leurs profits monstres, n’est capable d’aligner des montants aussi astronomiques dans la recherche de pétrole. Il faut dire que la Chine ne sait plus que faire de son argent. 1 000 milliards de dollars de réserves de change, vous imaginez ce que cela représente ?
La vérité sur les réserves n’est pas pour demain
Autre problème : les réserves des majors diminuent. Prenons l’exemple de BP qui annonce que sa production 2006 a décliné et que ce déclin va se poursuivre, faute de réserves…
J’en profite en passant pour donner mon avis personnel sur la question : je suis certaine que les majors surévaluent leurs réserves. Là encore, personne ne dit rien. Et pour cause : la vérité sur le sujet ferait chuter violemment le cours de bourse de la valeur. Les enjeux sont énormes. Par conséquent, le silence règne sur la question ; la chape de plomb résiste. Personne ne sait vraiment à quoi s’en tenir.
Des coûts prohibitifs
Et puis bien sûr, il y a la hausse des coûts d’exploration et de production. On creuse de plus en plus loin, de plus en plus profond, on fore sous la glace, sous la mer… Tout cela a un coût qui devient prohibitif, tant économiquement qu’environnementalement.
Un seul chiffre : sur les 16 $ de marge brute générée par chaque baril de pétrole, les pétrolières consacrent entre 8 et 12 $ à l’exploration. 50% à 75% du profit sont réinvestis pour trouver plus de pétrole encore. C’est inouï, démesuré. C’est un gouffre financier qui s’accroît à la vitesse grand V puisque l’enveloppe consacrée à cette recherche a progressée de 75% sur les 5 dernières années. A ce rythme, où va-t-on ?
D’ici quelques années, il faudra dépenser plus d’énergie à chercher le pétrole qu’à en faire effectivement remonter ! Et là, tout s’arrêtera…
Réagir ou disparaître ? Telle est la question
Face à ces dangers, les majors doivent réagir rapidement, sous peine de disparaître. Le monde de l’énergie ne peut que se concentrer. Seules subsisteront à terme celles qui auront su réagir à temps.
La parfaite illustration de mon propos
Hier, nous avons eu droit à une illustration parfaite de mon propos. Total a annoncé 12,5 milliards de profits. Du jamais vu en France. Profit toutefois réalisé avec une marge en baisse qui cache bien la fragilité de l’exploit.
Aussitôt, les politiques et associations de consommateurs, âpres aux gains, ont dit vouloir mettre la main sur une partie de ces profits pour les redistribuer. Pour eux, réaliser de tels profits est inadmissible.
C’est incroyable. Pourquoi faut-il toujours en France maudire l’entreprise et sa réussite ! Nous devrions être fiers d’avoir un champion national capable de se hisser au rang des plus grands mondiaux. Nous préférons crier au scandale et n’avons qu’une idée en tête, ponctionner ce « veinard » pour l’affaiblir, au moment où il doit investir plus que jamais pour assurer son avenir (et le nôtre !).
Que va-t-il se passer si on persiste dans ce jeu là ? Total, qui réalise 95% de ses profits hors de France, ira installer son siège ailleurs. Et ce sera bien fait pour nous. Car ne nous y trompons pas : Total n’a pas besoin de nous. En revanche, la France a besoin de Total !
N’oublions pas non plus que l’Etat français ponctionne au travers de l’impôt société une bonne partie du profit de Total. Et puis il y a la TIPP, taxe sur l’essence, qui rapporte de mémoire quelque 16 milliards d’euros à l’Etat français. C’est déjà très bien.
Alors plutôt que de vouloir s’accaparer systématiquement l’argent gagné par l’autre (Total aujourd’hui), j’aimerais que les politiques apprennent à mieux gérer les fonds déjà à leur disposition, et à dégager des marges de manoeuvre en réformant l’Etat.
Mais revenons à nos majors. Je vous le disais la dernière fois, elles doivent s’adapter aujourd’hui pour survivre à moyen long terme.
Une complexe équation sous contraintes à résoudre
Elles doivent imaginer aujourd’hui ce que sera « l’après-pétrole » et tout mettre en oeuvre pour s’y adapter. Une équation à résoudre sous contraintes, la principale étant le CO2et le réchauffement planétaire, la seconde étant la volonté d’indépendance énergétique affichée par les Etats.
Doivent-elles changer de business modèle, le remodeler ? C’est incontournable. Les groupes qui n’ont pas compris cela vont droit dans le mur. Alors que voit-on ?
Redistribution des cartes géographiques
D’abord, le
s majors ont tendance à abandonner les marchés occidentaux, mûrs, pour se focaliser sur les pays à fort développement, Chine et Inde en tête. Les marges y sont beaucoup plus élevées.
Ainsi, raffineries et stations essence sont à vendre en Europe. BP, Shell et bientôt Conoco Philips se sont lancés dans cette voie en vendant leurs raffineries. Dernière opération en date : Exxon vend sa filiale française Esso, avec ses 700 stations-essence et ses deux raffineries ! Plus assez rentables. Les pétrolières préfèrent ouvrir de nouveaux réseaux de pompes et complexes de raffinerie en Asie.
Concentration du secteur ?
Tôt ou tard, nous n’y couperons pas, le secteur à mon avis se concentrera. Et seuls les plus gros et les plus solides, les mieux diversifiés aussi, y résisteront.
La diversification géographique des ressources est essentielle
Premier axe de développement : il est important avant tout d’avoir des ressources « géopolitiquement sûres », en Europe et Amérique du Nord notamment. Et donc de bien « verrouiller » ces ressources.
Second axe de développement : les compagnies doivent diversifier leur portefeuille de ressources en misant sur le gaz naturel liquéfié. Une bonne option. Même si là encore, il faudra composer avec d’autres sociétés d’Etat. Que ce soit Gazprom en Russie, ou la Sonatrach en Algérie par exemple. D’autres sites vont ouvrir, comme l’Indonésie, Trinidad
A ce titre, sachez que Total a l’un des portefeuilles ressources les plus diversifiés géographiquement, ce qui réduit d’autant le risque inhérent à ces ressources.
Miser sur des ressources différentes
Nous l’avons vu, les pétrolières ont intérêt à se diversifier dans le gaz, notamment liquéfié.
Total est allé plus loin en rachetant l’an passé le canadien Deer Creek qui détient d’énormes réserves de schiste bitumineux (sable + pétrole). Une idée à creuser, même si l’efficacité énergétique est moindre. On peut en extraire 200 000 barils jour dès 2015.
Jouer la carte de l’après pétrole le plus tôt possible
Les pétrolières devront d’ici quelques décennies survivre sans pétrole. Et si elles n’ont pas la chance d’avoir un visionnaire à leur tête qui prend la mesure de l’impact dès aujourd’hui, elles auront du mal à s’en sortir. Total pour le coup semble bien réagir en réfléchissant à se diversifier dans le nucléaire. C’est une nécessité impérieuse à mon avis. Total et Areva ont toujours eu des liens forts par le passé — liens qui, certes, n’existent plus aujourd’hui… mais il y a là quelque chose à faire !
Et pas seulement dans le nucléaire. Les majors ont intérêt à prendre le tournant des énergies renouvelables très au sérieux. Je pense notamment aux centrales hydrauliques et géothermiques, mais aussi aux éoliennes. Elles sont trop absentes de ces secteurs. Gageons que cela ne durera plus très longtemps
Alors laissons ses milliards à Total pour que la société puisse investir dans les énergies de demain et participer à notre futur approvisionnement en énergie.
Les majors du pétrole le dos au mur
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